25 Jan
M. Babacar DIAGNE : La création d’un organisme de surveillance dédié aux réseaux sociaux serait superflu et dispendieux…c’est plus logique de confier cette mission aux instances de régulation existantes
M. Babacar DIAGNE, Président du Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel au Sénégal (CNRA), élu récemment Vice-président du REFRAM (Réseau Francophone des Régulateurs de Médias), a souligné que la crise que nous visons actuellement avec la prolifération des discours de haine sur la toile s’est développée « de manière insidieuse » sur plus ou moins trois décennies, en raison essentiellement, du déplacement de l’éducation sociétale du cercle familial et scolaire vers l’éducation de masse.
DIAGNE, également Président de la Plateforme des Régulateurs de l’UEMOA et de la Guinée, a aussi fait part de l’appel de l’UEMOA pour créer, dans chaque Etat africain, un organisme de surveillance des réseaux sociaux et susciter un partenariat entre ces derniers. Plus de détails dans cette brève interview accordée au CRRM :
Les nouveaux moyens de communication ont certes permis de développer l’exercice de la liberté d’expression et le droit d’information mais cela s’est accompagné par la prolifération des discours de haine et la désinformation. Selon vous, quelles sont les raisons ?
Par les nouveaux moyens de communication, comprenons « les réseaux sociaux », l’expression consacrée. Nous remarquerons que l’utilisation de ses réseaux à des fins de désinformation et de discours haineux est très perceptible en Afrique surtout dans les pays africainsة dits de « progrès » démocratique. En effet, dans beaucoup de ces pays Africains, avec l’avènement des smartphones et les applications basiques actuellement disponibles pour ce genre d’appareils. L’ère de la « communication de masse » est arrivée ! Ces applications donnent l’impression aux utilisateurs qu’ils peuvent faire comme ces journalistes et hommes de radios ou télévision dont ils admiraient le travail naguère. A l’instar de ceux-là, les néophytes peuvent grâce à des applications et non plus des logiciels, enregistrer le son et les images, monter, et même faire des trucages. Le pouvoir et la liberté sont à portée de main. Tout le monde peut filmer et éditer comme « les professionnels », il suffit juste d’être curieux et d’avoir un peu de temps. A ces moyens techniques basiques, ajoutons la crise des valeurs sociales à laquelle nous assistons actuellement. Cette crise s’est développée de manière insidieuse sur plus ou moins trois décennies. Durant cette période, l’éducation sociétale s’est déplacée du cercle familial et scolaire vers l’éducation de masse instillée, voire inculquée inconsciemment par des hommes publics et leaders politiques et d’opinions, dans leurs comportements, verbes, attitudes et appréciations des situations sociales, religieuses et politiques. Le mimétisme aidant, renforcé par la notion de « liberté » dans une fausse appréciation du concept de démocratie, le résultat de l’éducation de masse est devenu une catastrophe. Il a engendré un hiatus, une crise profonde de société, presque partout en Afrique. Le monde change tous les jours, insidieusement. Les valeurs sociales sont mises à rude épreuve, et les acteurs en sont inconscients. La technologie a offert à notre jeunesse les moyens techniques qui leur donnent la parole au niveau mondial, sans frais adjacents. A ce cocktail, ajoutons l’ignorance (le manque de savoir et de culture générale) ; la méconnaissance des règles de fonctionnement de la « toile » ; la sensation d’un pouvoir de rédempteur ; la possibilité de régler à tort des comptes personnels sans contrecoups ; et surtout la possibilité de gagner de l’argent avec un taux d’abonnés ou de followers prédéfinis, donc le succès et l’argent qui permettent tous les excès et bravades pour être célèbres et adulés pour son courage, sa ténacité et sa témérité.
L’UEMOA a tenu au Sénégal sa 9e Assemblée générale consacrée à la lutte contre la prolifération des discours de haine ou violents dans les médias et la désinformation. Quelles sont les principales recommandations à ce sujet?
La principale recommandation serait de faire comprendre aux jeunes utilisateurs des réseaux que le smartphone ou l’ordinateur qu’ils utilisent à une adresse IP (Internet Protocol) ou qu’ils se trouvent dans le monde ; que l’adresse précise de l’endroit où le message a été posté est traçable tel un numéro de téléphone ordinaire. Il faut que l’utilisateur sache qu’il ne peut se cacher impunément derrière un clavier.
La deuxième recommandation serait de renforcer les législations en vigueur, à défaut, les créer et les appliquer rigoureusement. La troisième serait de créer dans chaque état un organisme de surveillance des réseaux sociaux et susciter un partenariat entre ces derniers.
Le dernier sommet de la francophonie de Djerba a appelé à mettre en place un mécanisme de régulation des plateformes numériques dont la coordination serait confiée aux autorités de régulation. Pensez-vous que les régulateurs africains sont prêts pour assumer cette mission ?
Face à ces contenus audiovisuels populaires d’un genre nouveau, la création d’un organisme de surveillance dédié, à l’instar des organismes de régulations des contenus audiovisuels, serait superflu et dispendieux. La conclusion logique est effectivement de confier ce travail aux organismes existants.
Nombreuses sont les initiatives pour développer le fact-checking au profit des médias africains. Pensez-vous qu’une forme de coopération ou de partenariat entre ces plateformes et les autorités de régulation en Afrique est possible ?
Effectivement, cette coopération entamée un peu partout doit être renforcée, surtout concernant les manipulations et les crises inter ethniques.